L’annonce de l’intention de démission de Hafedh Makni, chef de l’Orchestre Symphonique Tunisien, (OST) a soulevé plusieurs questions et a créé une polémique dans le petit monde de la musique classique tunisienne.
En effet, le très charismatique Hafedh Makni a annoncé son intention de retrait de la direction de l’orchestre symphonique tunisien suite à la décision du ministre des affaires culturelles Mr Mohamed Zine El Abidine d’impliquer les deux orchestres classiques tunisiens ; l’orchestre Symphonique tunisien (dirigé par Mr Hafedh Makni) et l’Orchestre de l’Opéra de Tunis (nouvellement créé et dirigé par Rachid Koubaa) dans le projet tuniso-italien AIDA : un opéra qui devrait réunir des artistes tunisiens avec des artistes italiens de grands niveau
Le projet AIDA
Le projet AIDA est une collaboration tuniso-italienne pour présenter et pour la première fois en Tunisie la célèbre œuvre de Verdi. Ce projet a été initié sous l’égide de l’ANEP : Agence Nationale de Mise en Valeur et d’Exploitation du Patrimoine Archéologique et Historique qui avait pour but de créer des spectacles en vue de promouvoir les sites archéologiques tunisiens. Pour ce faire l’ANEP a réuni un certain nombre de partenaires pour le mener à bien. L’exécution de la partie tunisienne a été confiée à l’OST (sachant que la direction artistique, était confiée à l’orchestre italien) En cours de projet et suite à la revue à la baisse de la participation financière de plusieurs partenaires, c’est le ministère de la culture qui a pris sous son aile le projet afin de le mener à bon port et afin d’honorer les engagements tunisiens vis-à-vis de la partie italienne.
Le ministère ayant désormais le devoir de gérer au mieux les deniers publics a ouvert la participation tunisienne à l’ensemble des musiciens et non seulement à ceux qui œuvrent au sein de l’OST ; il a donc chargé les deux chefs de s’entendre pour choisir les meilleurs éléments et les impliquer dans ce grand projet.
Mr Makni voyant que son travail déjà entamé n’allait plus être livré tel que pensé, a préféré démissionner, cette réaction est pour le moins compréhensible puisque l’incident du financement du projet est intervenu en cours de route et après que l’OST s’est investi dans les répétitions, et quelques semaines de la date prévue pour le spectacle. La décision du ministère qui consiste à privilégier la qualité des instrumentistes et à maximiser l’intérêt du projet pour la communauté des musiciens toute entière en incluant les membres de l’orchestre de l’opéra dirigé par R Koubaa, l’est tout autant.
En effet pour comprendre les origines de cette démission, il faut comprendre la divergence de points de vues entre les deux chefs d’orchestres Rachid Koubaa et Hafedh Makni.
Une contrainte deux solutions.
Il est reconnu dans le milieu que le nombre d’instrumentistes de haut niveau en musique classique est très limité en Tunisie. En effet, et en dehors des musiciens qui ont été formés à l’étranger au cours de leur cursus ou ayant eu des stages/échanges avec des orchestres internationaux, peu de musiciens peuvent prétendre à un niveau international, les quelques musiciens classiques en Tunisie sont plutôt du niveau amateur ou semi professionnel ayant en général d’autres occupations que la musique. Soulevons aussi le problème de certains instruments de l’orchestre classique ou la formation en Tunisie est tout simplement inexistante (trompette étant l’exemple le plus flagrant, ne parlons pas de hautbois, cors,…)
Dans cette situation de pénurie, Rachid Koubaa qui a jusqu’à la création de la cité de la culture a dirigé l’ensemble orchestral de Tunis, préférant ne travailler qu’avec les meilleurs instrumentistes tunisiens quitte à inviter des étrangers pour combler le manque le temps que la formation tunisienne se mette en place. Ceci a fait que les apparitions de l’ensemble orchestral de Tunis et malgré leurs excellences étaient plutôt rares.
D’un autre coté Hafedh Makni a préféré s’acclimater avec l’austérité en acceptant des musiciens semi professionnels ou amateurs. Ceci a eu deux effets : d’un côté Hafedh Makni était beaucoup plus productif, citons par exemple les efforts de l’orchestre lors de la dernière année pour organiser une programmation connue à l’avance, des concerts périodiques pour la plupart à guichets fermés, la popularité de l’orchestre symphonique tunisien ainsi que l’émoi qu’a soulevé sa démission témoignent d’une reconnaissance du public. D’un autre coté, ce fait d’accepter de travailler avec des musiciens semi professionnels ou amateurs a fait fuir les meilleurs éléments qui ne s’épanouissaient pas dans leur travail et qui n’arrivaient plus à progresser. Il est paradoxal par exemple que nos meilleurs éléments travaillent bien plus à l’étranger qu’en Tunisie alors que l’orchestre symphonique tunisien est financé par le ministère de la culture.
Épilogue
Concernant le projet lui-même le principal point à évoquer est le changement de financement en cours de route puisque certains partenaires se sont désistés ce qui en plus des implications actuelles et de l’effort fourni par l’ost aurait pu coûter cher en terme d’image pour la Tunisie.
Concernant l’aspect musical, le ministère a donc choisi de confier l’opéra AIDA aux deux chefs, et ce afin de sélectionner les meilleurs éléments tunisiens. Mr Makni préférant se retirer puisque ce choix implique une recomposition de l’orchestre sur la base des compétences techniques et non tel qu’il l’a commencé. Du côté italien nos informations indiquent que les partenaires sont satisfaits et qu’ils trouvent que le niveau de la nouvelle composition de l’orchestre tunisien est très bonne au point d’avoir moins besoin de membres italiens en renfort. Chez Musicien.tn nous souhaitons surtout tout le succès à la fois musical et populaire à cette représentation qui; malgré cette polémique, rappelons le, est une première en Tunisie, qui réunit à la fois Musique, mais aussi Costumes; Mise en scène…
Par ailleurs, et au-delà du projet et de la différence de vision des deux chefs, toute la question est de savoir, maintenant que nous avons une cité de la culture, une entité capable d’accueillir et d’organiser des partenariats internationaux, eux même capables de combler le manque flagrant de moyens dont souffre le ministère, faut-il plutôt privilégier une excellence, prendre les meilleurs éléments toutes formations confondues ou plutôt privilégier la reconnaissance des efforts fournis.
Suite à l’annonce faite par Mr Hafedh Makni de son intention de démissionner le ministère a procédé à la désignation d’un nouveau directeur et d’un comité artistique pour l’Ost on peut y lire deux volonté d’une part rajeunir la direction et permettre aux jeunes virtuoses de s’épanouir et d’autre part faire place à plus de collégialité dans la direction pour permettre une meilleure représentation des tendances de la musique classique en Tunisie.